C'était il y a 2 ans, Joelle, documentaliste à la Cinémathèque de Toulouse, me contactait afin de me fournir très gentiment des scans de couvertures pour un fanzine. De mon côté je lui proposais de lui envoyer quelques doubles afin qu'ils intègrent le catalogue des périodiques de la bibliothèque de la Cinémathèque. Ainsi commença une correspondance et des échanges réguliers.
En lui proposant de répondre à mes questions j'ai voulu qu'elle nous explique comment fonctionne cette cinémathèque si particulière, qui s'intéresse au cinéma alternatif et au fanzinat.
-Peux-tu nous présenter en quelques mots La Cinémathèque de Toulouse? Quelle fonction y exerces-tu? Avez-vous des liens avec d'autres cinémathèques et notamment avec La Cinémathèque française qui se trouve à Paris?
La Cinémathèque de Toulouse est une
association qui a été fondée en 1964, par Raymond Borde soutenu par toute une
équipe de cinéphiles. Ils avaient pour ambition de constituer une collection de
films à Toulouse, bien qu’il existe déjà une Cinémathèque à Paris.
Ses deux missions principales sont
la conservation et la diffusion du patrimoine cinématographique, y compris
régional. Elle entretien des liens privilégiés avec La Cinémathèque française
et les autres cinémathèques en France (notamment L’Institut Jean Vigo à
Perpignan). Elle est membre de la FIAF (Fédération internationale des archives
du film) depuis 1965, ce qui lui a permis de collaborer avec les autres
cinémathèques et archives de film au niveau international, et de bénéficier par
exemple de dons de divers types de documents (films, photos, affiches,
ouvrages, revues). Pour en revenir aux liens avec La Cinémathèque française, il y a des collaborations à plusieurs
niveaux: programmation, collections (échanges et dons de documents),
catalogue commun (Cinéressources pour le
non film, catalogue du CNC pour les films), projet d'une nouvelle
plateforme nationale piloté par La
Cinémathèque Française et le CNC, Centre national de la Cinématographie, à l'élaboration
de laquelle nous participons activement. Ce projet tout à fait innovant en
Europe regroupera les collections film et non film sur le cinéma en France.
Pour ma part, je suis documentaliste à la
bibliothèque de La Cinémathèque depuis 2002, responsable du fonds des
périodiques et des catalogues de festivals.
-Vous proposez diverses expositions,
comme dernièrement celle sur les revues populaires de cinéma en France. Tout
provient uniquement de vos collections ? Les expositions se font-elles de
manière régulière ?
L’exposition « Vedettes en
série : les revues populaires de cinéma en France (1920-1970) » a été
organisée par la bibliothèque en collaboration avec le service iconographique
de la Cinémathèque. Les revues exposées proviennent uniquement de nos
collections. C’est d’ailleurs la première fois que la Cinémathèque organise une
exposition basée entièrement sur les fonds conservés à la bibliothèque. Nous
avons choisi de mettre en avant les revues populaires car elles permettent de mesurer l'évolution
du culte de la vedette tout au long d'une grande partie du 20è siècle: des
années 1920 avec le cinéma muet, en passant par l'âge d'or hollywoodien (1930 à
fin 1950) et ses stars glamours, pour finir vers la fin des années 60 avec la
libération sexuelle. De plus, elles bénéficient d’une richesse iconographique
exceptionnelle. Il faut savoir que notre fonds est conséquent: on compte plus
de 150 titres de revues populaires, françaises mais aussi étrangères. Nous
avons sélectionnés 12 titres au total, parmi lesquels: Pour vous, Cinémonde,
Cinémagazine, Mon ciné, Ciné-revue, Ciné-Miroir.
En ce qui concerne les expositions en
général, elles sont organisés par mes collègues documentalistes du service
iconographique de La Cinémathèque, tous les deux mois environ. Les
photographies et les affiches sont exposées la plupart du temps, plus rarement
les appareils de cinéma. Tous les documents proviennent de notre fonds.
-Vous organisez aussi un festival assez
particulier, l’Extrême cinéma, qui en est à sa 18ème édition cette
année. Ce festival a-t-il toujours été
associé à la Cinémathèque?
L'histoire du festival est liée à
plusieurs personnes : Franck Priot, Frédéric Thibaut, Alex Masson, Franck Lubet.
Avant « Extrême cinéma », il y
avait le rendez-vous « Les faubourgs du cinéma » qui a démarré en
1994, sur une initiative de férus de cinéma bis: Franck Priot, Frédéric
Thibaut, Alex Masson. En toute indépendance, ceux-ci sélectionnaient des films
issus de la collection de la Cinémathèque, et les programmaient pour un
rendez-vous hebdomadaire .
Puis en 1999, le rendez-vous s'est arrêté
et a été transformé en festival annuel. Ensuite, Franck Lubet est arrivé peu de
temps après à la Cinémathèque de Toulouse. Il est alors venu renforcer l'équipe
programmatrice du festival. Aujourd'hui « Extrême cinéma » est porté
par Franck Lubet et Fredéric Thibaut.
-Comme toute cinémathèque celle de
Toulouse propose aussi des projections. Votre programmation est centrée sur un
genre particulier ou bien vous proposez un peu de tout ? Y a-t-il des
attentes particulières du public de la région ?
La programmation ne se limite pas à un
genre en particulier. Tous les thèmes sont abordés. Pour vous citer des
exemples: le dogme en 2015, cycle sur le cinéma policier français découpé en
deux parties (du cinéma muet aux années 40, des années 50 à nos jours) en 2016,
la justice en 2017.
Les rétrospectives sont également
très représentées: celle sur Abel Ferrara vient de se terminer, précédemment en
2016 il y a eu une rétro consacrée à Martin Scorsese et Marco Bellocchio.
Si on remonte à 2015, celle sur Stanley Kubrick a eu beaucoup de succès. En
juin 2017, un cycle sera consacré aux frères Coen.
-Votre fonds est composé de films mais
aussi de livres, de revues et même de fanzines. Peux-tu nous donner quelques
chiffres, quelques statistiques (c’est toujours bien les statistiques)?
Le fonds de la bibliothèque de La
Cinémathèque de Toulouse est composé de divers types de documents
essentiellement consacrés au cinéma: 15000
ouvrages, 72000 dossiers de presse papier, 1550 titres de revues françaises et
étrangères, environ 6500 titres de films
(en DVD et en VOD: catalogue d'Arte Médiathèque numérique). Nous avons aussi
depuis 2015 le poste de consultation multimédia Inathèque, qui permet de
visionner des films numérisés par le CNC (environ 7000) et les archives
numérisées de la télévision et de la radio au titre du dépôt légal.
La bibliothèque reçoit 1700 lecteurs
environ à l'année, principalement des chercheurs, étudiants en cinéma,
journalistes. Elle est ouverte du mardi au samedi de 14h à 18h, le jeudi
jusqu'à 19h30.
Tout est
consultable sur place, donc pas d'emprunt.
En ce qui concerne les autres documents
collectés par La Cinémathèque de Toulouse, il y 45000 copies de film (de 1908 à
nos jours), 75000 affiches de cinéma (1ère collection en France), plus de 500000
photographies, 2500 scénarios, des fonds d'archives, le tout conservé au Centre
de conservation et de recherche de La Cinémathèque situé à Balma, à la
périphérie de Toulouse. Certains de ces documents sont consultables sur
demande, et sur rendez-vous.
-Si on regarde votre catalogue en ligne, dans
le répertoire des périodiques on trouve donc non seulement des revues de
cinéma, mais aussi une belle collection de fanzines. Pourquoi et depuis quand
date cet intérêt prononcé de la Cinémathèque pour ce genre de publications?
La
Cinémathèque s'intéresse depuis ses débuts au cinéma de « la marge »
(cinéma bis, cinéma érotique et pornographique, cinéma underground). Elle
possède notamment un fonds important de
films de ce genre.
Comme Raymond Borde (fondateur de La Cinémathèque de Toulouse) le
concevait, tout document ayant trait au cinéma a sa place dans une
cinémathèque, même des publications d'amateurs.
Nous considérons les fanzines comme des revues à part entière. C'est
vrai qu'ils contiennent des mines d'informations, proposent des dossiers
thématiques sur des sujets peu exploités, des filmographies dédiées à des
acteurs ou cinéastes cultes du cinéma bis souvent dénigrés ou oubliés par la
presse cinématographique « classique ». On y trouve aussi des
interviews rares d'acteurs et réalisateurs, des chroniques vidéos (vhs, dvd…),
des critiques de films. Nos premiers fanzines datent des années 1970, et nous
comptons plus de 50 titres. Parmi nos collections les plus importantes il
y a Ciné Zine Zone et Monster bis.
-Avez-vous une politique d'acquisition
particulière pour les fanzines et les revues? Des critères spécifiques?
Notre collection de revues françaises est
plutôt exhaustive: on retrouve les revues critiques (Cahiers du cinéma,
Positif, Jeune cinéma…), d'analyse (Trafic, L’Art du cinéma), d'histoire du
cinéma (1895), celles destinées aux professionnels (Ecran Total, Film français,
publications du CNC), les revues
thématiques (Mad Movies, L’Ecran fantastique, Images documentaires,
cinémas d'Amérique latine…) et j'en passe.
Notre budget
d'acquisition étant en baisse, nous avons du réduire nos abonnements à des
revues étrangères et se concentrer essentiellement sur les publications
francophones.
Pour les fanzines, je sélectionne ceux
que je juge les plus intéressants. Il n'y a pas d'exhaustivité, notre budget étant très limité, cela laisse une
petite place aux fanzines. Je peux t'en citer certains que nous suivons
particulièrement: Ciné-Bazar, Darkness fanzine, Miroir noir, Médusa, PeepingTom, Toutes les couleurs du bis.
En tout, nous avons une cinquantaine
d'abonnements. Nous acceptons les dons et nous recevons régulièrement des propositions
de particuliers qui peuvent nous intéresser. Donc si vous souhaitez donner des fanzines ou autres revues à la
bibliothèque, nous sommes preneurs !
-Justement si je suis un fanéditeur ou un
collectionneur et que je veux vous envoyer des fanzines, comment dois-je
procéder?
Il suffit de prendre contact avec moi.
Comme je te le disais précédemment, la bibliothèque accepte les dons. Dans ce
cas, le fanzine une fois reçu sera inventorié et référencé dans notre catalogue
Ciné-ressources, au même titre que les autres périodiques de notre fonds, il
sera ensuite consultable par le public.
-Quel est la procédure pour avoir accès à
votre fonds. Comment faire pour consulter des publications?
Notre fonds est répertorié dans le
catalogue Ciné-Ressources à l'adresse suivante : http://www.cineressources.net/repertoires/repertoires.php?institution=TOUL.
Celui-ci regroupe les collections de
périodiques de La Cinémathèque française et de La Cinémathèque de Toulouse. Ensuite,
si vous souhaitez consulter les fanzines
et les autres revues, il suffit de vous rendre sur place à la bibliothèque.
-La
numérisation se fait maintenant dans beaucoup d'institutions, avez-vous
également un projet mis en place? Privilégiez-vous un support plutôt qu'un
autre?
Pour la
bibliothèque, nous avons numérisé cinq périodiques en 2012 grâce à des
subventions spécifiques du ministère de la Culture et de la région
Midi-Pyrénées : il s’agissait de Pour vous et des revues régionales Ciné-Théâtre,
Bordeaux ciné, Sud-ouest spectacles et Toulouse spectacles.
Ces revues sont tombées dans le domaine public et par conséquent ne posent
aucun problème d'ordre juridique. Ces financements se sont arrêtés, nous
n'avons donc plus les moyens de poursuivre ces projets de numérisation.
Les affiches
sont aussi numérisées, grâce aux aides financières de l'État et de la Région.
Au total on compte aujourd'hui 4000 affiches numérisées par La Cinémathèque de
Toulouse depuis 2008, nombre inégal par année en fonction du budget. Il n’y a eu pas eu de numérisation d’affiches
en 2015 , par contre un lot de numérisation de 100 affiches est en préparation
pour 2016. Celles-ci sont aussi consultables sur le catalogue Ciné-Ressources
mais uniquement à partir des postes de la bibliothèque de La Cinémathèque de
Toulouse, de La Cinémathèque française et de l'Institut Jean Vigo.
En ce qui
concerne les films, c'est une autre histoire. La Cinémathèque vient de s’
équiper d’un scan, ce qui marque une avancée
dans la politique de numérisation de
notre institution. Le premier objectif est de gérer une urgence de conservation
et de sauvegarde d’un ensemble de longs métrages 35 mm très abîmés par le temps
et qui affichent le syndrome du vinaigre.
On peut
parler aussi de l'appel à collecte des films amateurs lancé par La Cinémathèque
de Toulouse en 2012. Ces films sont conservés et numérisés, une copie en DVD
est fournie aux déposants.
Ces
dernières années, il y a aussi eu quelques restaurations numériques de films,
financés par le CNC ou menées en
partenariat avec des cinémathèques, des producteurs ou des distributeurs.
Certains de ces films ont été édités en DVD en partenariat avec Carlotta ou
Studiocanal (La vendeuse de cigarettes du Musselprom de Iouri Jeliaboujski , La
Grande Illusion de Jean Renoir, Verdun visions d'Histoire de Léon Poirier, «La Grève»
de S.M Eisenstein, La Campagne de Cicéron de Jacques Davila, Les Misérables de
Henri Fescourt, Le Soldat Laforêt de Guy Cavagnac).
-Personnellement tu préfères lire sur du
format papier ou du format électronique? D'ailleurs, lis-tu des fanzines (tu as
le droit de répondre non).
J'apprécie la lecture sur du format
papier, je suis née avec le format papier et j'ai besoin de lire un magazine ou
un livre sur un support physique, cela permet de feuilleter, d'avoir un vrai
contact avec le document. Lire sur un ordinateur ou une tablette n'est pas
confortable, on doit être en permanence devant un écran. J'aime bien y décoller
les yeux de temps en temps. Après, il m'arrive de lire des articles de la presse
ciné ou généraliste sur internet, comme beaucoup de monde.
A propos des fanzines, je l'avoue, je les
parcours davantage que je ne les lis! Il m'arrive quand même de lire quelques
articles, notamment des interviews ou des dossiers thématiques. Il est vrai que
je ne suis pas une fanatique de cinéma bis même si je vais voir quelques
films, notamment au festival extrême cinéma, car cela me permet de faire des découvertes.
-Tu peux nous dire quels sont les projets
en cours de la Cinémathèque? Peut-on rêver qu’une expo sur les fanzines voit le
jour ?
Il y a
beaucoup de projets à La Cinémathèque de Toulouse. Pour la bibliothèque, le
prochain chantier à venir est l'intégration de ses principales collections
complètes de périodiques (environ 500 titres) dans le catalogue du SUDOC
(catalogue des bibliothèques et centres de documentation de l'enseignement
supérieur et de la recherche).
Nous avons
aussi pour objectif de réaliser une exposition par an à partir de nos
collections, la prochaine sera sur les films racontés et les romans photos.
Nous
envisageons aussi de faire une exposition sur les fanzines par la suite,
pourquoi pas dans deux ans pour les 20 ans d'Extrême Cinéma, ce serait une
belle occasion de fêter l'événement !
Au niveau
des collections films, il y a le projet démarré en 2012 « Mémoires Filmiques
Pyrénées-Méditerranée », en partenariat avec L'institut Jean-Vigo à
Perpignan autour de la mémoire filmique des régions Languedoc-Roussillon,
Midi-Pyrénées et Aquitaine, ainsi que de la Catalogne et des Baléares. Le but
est avant tout de (re)trouver les films que les particuliers, entreprises et/ou
associations ont encore en leur possession, mais qui sont souvent entassés dans
des caves humides ou dans des greniers, afin de les conserver dans les
meilleures conditions et de les numériser.
Une
sélection de films est disponible sur le site suivant :
http://www.memoirefilmiquedusud.eu/
Un tout grand merci à Joelle d'avoir pris le temps de répondre à ces questions, et aussi pour son aide.
http://www.lacinemathequedetoulouse.com/
http://www.lacinemathequedetoulouse.com/
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