vendredi 9 juin 2017

Entretien avec Luis Alcaide et Patrick Nadjar

Ce qui au départ n'était pas du tout prévu quand j'ai commencé ce blog, et qui est devenu une de mes principales motivations, ce sont les rencontres avec des personnes sympathiques dont les paroles intéressantes et les encouragements vous boostent et vous permettent d'avancer. Ce fut encore le cas avec le duo Luis Alcaide-Patrick Nadjar que j’ai croisé à plusieurs reprises au Festival Bloody Week-end qui a lieu chaque année à Audincourt. Lors de la 8ème édition, qui s’est déroulée en mai dernier, je leur ai demandé s’ils pouvaient m’accorder un peu de temps pour me parler de leur parcours dans le fanzinat, de leur travail de journaliste pour des revues ciné et de la passion qui les anime encore et toujours. J'espère que vous prendrez autant de plaisir à lire ces lignes que j'en ai eu à les écouter:


Leur rencontre

 -Patrick Nadjar : notre rencontre date d’il y a environ 30 ans. J'étais à l'Ecran Fantastique depuis quelques années et on cherchait un traducteur. J'avais besoin de quelqu'un pour faire des interviews et les traduire et comme Luis était parti aux Etats-Unis de nombreuses années et que l'anglais n'était plus un secret pour lui… C'est comme ça qu'il est rentré à l'EF.

-Luis Alcaïde : j'ai commencé à l'Ecran en 1988. Mon test a été Peter Jackson, c’était la première interview que j'ai traduite de ma vie, pour le film Bad Taste.

-PN : c’est à partir de là qu’est né notre amitié. On s'est trouvé beaucoup de passions communes, comme le cinéma fantastique.

-LA : et le football…

-PN : et le football évidemment, et plein d'autres choses.

-LA : on faisait partie de la bande du Rex, une trentaine de cinéphiles qui allaient à tous les festivals de Paris. On passait de bons moments. Un jour, on a pris Zu, les guerriers de la montagne magique de Tsui Hark en pleine gueule.

-PN : et aussi A Chinese Ghost Story. Ces films ont lancé notre intérêt pour le cinéma asiatique et de Hong Kong. A Chinese Ghost Story était passé, en double programme, dans une salle parisienne tenue par des asiatiques (salle qui a malheureusement fermé quelques mois après).

Butterfly Warriors 

-LA : seulement deux numéros sont sortis, ainsi qu’un troisième qui est resté à l’état de maquette.

-PN : on était plusieurs sur Butterfly Warriors mais les deux principaux rédacteurs c’était nous. C'est Luis qui a trouvé le nom du fanzine, un mélange de 2 titres de films de Tsui Hark: Butterfly Murders et Zu, Warriors From the Magic Mountain. On était tous les deux à l'Ecran fantastique, j'ai fait passer une petite annonce à l’intérieur, pour demander aux fans de cinéma asiatique de nous rejoindre afin de créer un genre d'association, de fanclub. Ce qui nous a permis de rencontrer des gens comme Julien Carbon et Laurent Courtiaud, qui par la suite ont fait des films et travaillé avec Tsui Hark. Ils sont donc venus nous rejoindre avec d'autres. Ce petit groupe nous a permis de réaliser des articles et des interviews pour Butterfly Warriors.

-LA : un jour on a rencontré un expert allemand à Milan qui nous a dit que BW était le 1er fanzine européen, y compris l'Angleterre, sur le cinéma asiatique. On était précurseur.

-PN : il y a une anecdote à ce sujet : ce monsieur avait trouvé un exemplaire de BW à Berlin, mais on lui dit que nous, on a jamais envoyé d'exemplaire à Berlin ! Il s'est en fait avéré que c'était des photocopies! Donc un numéro pirate.

-LA : il était même gêné, mais je lui ai dit: "Vas-y, pirate autant que tu veux, plus tu pirates plus on est content nous". On écrit des trucs, on est heureux que les gens les lisent.

BW dans l’EF 

-PN : comme j'étais déjà depuis quelques années à l'Ecran Fantastique et que j'étais assez proche d’Alain [Schlockoff], il m'a proposé d'intégrer Butterfly Warriors à l'intérieur de l'EF. Donc, on a fait un mini BW d'une dizaine de pages, toujours avec ce même titre [dans le n° 128, novembre 1992]. Cela a duré quelques numéros. Dans le premier il y avait une interview de Myazaki pour Porco Rosso.

-LA : ce qui s'est passé aussi c'est que, quand on a fait le deuxième numéro du fanzine, des mecs sont venus nous chercher pour faire deux magazines pro.

-PA : sur les Laserdiscs: LaserOfilms, qui a eu 2 numéros et Lasermania, plus connu et plus balèze au niveau artistique, de la mise en page, du tirage… qui a connu lui 3 numéros.

-LA : pour ces deux revues c’est nous qui décidions des couvertures.

-PN : j'ai pu aussi réutiliser des articles que j'avais faits pour mes fanzines, comme par exemple pour Ciné-Fantasy, un sujet sur Robojox de Stuart Gordon (dans LaserOfilms).

-LA : on a beaucoup recyclé dans ces revues en fait.

-PN : les fanzines c'est 100 ou 200 exemplaires, donc c’est lu par peu de gens, tandis que ce genre de revue, c'est 5000 ou 10000 exemplaires.

Ciné-Fantasy

-PN : Ciné-Fantasy est né il y a de nombreuses années [1985], avant Butterfly Warriors, co-édité avec Jean-Luc Vandiste. Une dizaine de numéros dont un n° spécial, avec des dessins. Alain [Schlockoff] avait lu un numéro (le 8 ou 10 je pense) dans lequel il y avait une interview de Clive Barker notamment, il avait trouvé ça très bien et à partir de là il m'a contacté pour rejoindre l'Ecran Fantastique.
On a eu des trucs super sur Ciné-Fantasy. On avait aussi une chance énorme c'est qu'on ressemblait à un nom d'un grand magazine, Cinefantastic. Je me souviens, on était parti voir Stuart Gordon en Italie, pour Robojox, et après avoir assisté au tournage, quand on est allé voir l'attachée de presse, elle nous a demandé qui on était, j'ai répondu Ciné-Fantasy et elle me dit : "Cinéfantastic !"
Je dis toujours: t'as pas besoin d'avoir un grand magazine tant que tu fais ce que tu aimes avec le coeur et la passion, et le partage, tu peux obtenir beaucoup de choses.
J'étais un grand fan de Suspiria, on avait fait un article sur les 10 ans du film. On avait contacté Dario Argento et on est allé le voir à Rome, lors de la sortie d'Opera. Il était sur la posprod de son film avec Romero, Two Evil Eyes (Deux yeux maléfiques). Quand il a pris le fanzine en main, il a dit, avec son enthousiasme italien: "Ce n’est pas possible, ils l'ont fait !" C'était quand même Dario Argento en face de moi, moi j'étais rien du tout avec mon petit fanzine… On était très impressionnés. Rencontrer Dario Argento c'est toujours un grand bonheur.
Quelque part, avec Ciné-Fantasy, on a fait un fanzine qui était assez proche d'un magazine pro, on avait quand même des interviews très balèzes, qui duraient une heure, donc je pense qu'il y avait de la qualité. Alain Schlockoff avait apprécié, il avait fait comme ça [Patrick lève son pouce]. On avait assuré au niveau des interviews.


Ecrire pour un fanzine ou pour une revue

-LA : pour nous il n'y a pas de différence. Il n'y a aucune différence à écrire pour un mag pro ou à écrire pour un fanzine. Tu le fais sérieusement de toute façon. Que ce soit pour l'un ou l'autre, l'important ce n'est pas toi qui l'amène, l'important c’est les gens qui te donnent des informations intéressantes suite aux questions que tu poses.
En fait il y a 2 façons de faire les interviews, il y a les pro et les fans, les cinéphiles. Le bon exemple c'est Bob Keen, qui a fait les effets spéciaux de Cabal et travaille beaucoup avec Clive Barker, il nous avait dit à Bruxelles: "Ecoutez, c'est la 23ème interview que je fais, les 22 d'avant c'était les mêmes. Vous, vous êtes arrivés et vous m'avez posé une question pointue sur un truc". Pour cette interview on avait 20 minutes, on a fait 1h05. L'attachée de presse nous faisait de grands signes: "Il faut arrêter, il faut arrêter..". Et lui il disait: "Non, non..."
Et quand on a interviewé C. Barker, juste après, Keen est revenu dans l'hôtel, au Hilton de Bruxelles, il a ouvert la porte, il a fait signe à Barker et nous a montré tous les deux en levant le pouce.
Quand tu pars comme ça, ça peut être que bien.
La différence [avec les pros] c'est que nous, on a toujours interviewé que des gens qu'on avait envie d'interviewer, ce n'est pas un boulot donc t'es pas obligé d'interviewer un mec que t'aimes pas.

-PN : je me souviens d'un numéro de Toxic dans lequel on avait écrit 3/4 du sommaire,  avec beaucoup d'interviews. On avait été en Angleterre et en Italie, avec Bruno Maccarone, qui parlait italien, donc c'était beaucoup plus facile.

-LA : c'était du système D en fait, tu fais l'interview de Keen, qui va voir Barker pour dire que ces mecs là sont bons, et après Keen t'invite sur le lieu de création des effets-spéciaux à Pinewood. Donc t'y vas, tu passes devant les décors de Batman…

-PN :.. les bâtiments de 007, c'est très impressionnant pour nous.
Que ce soit un fanzine ou mag comme l'Ecran ou Mad Movies, tu gagnais pratiquement rien en faisant les trucs, donc il n'y avait pas une grande différence, à part la maquette avec de jolies photos. Mais pour nous l'interview était toujours la même.

-LA : le format 20 minutes qui était normalement imposé, en fait ça te limite, si le gars que tu interviewes a envie de te parler plus longtemps d'un truc, il ne peut pas, parce que toi t'as une liste de questions et il faut que tu les poses dans ce laps temps imparti. Donc, à la limite, tu vas l'interrompre à un moment plus ou moins propice et changer de sujet. Nous on a toujours laissé les mecs s'exprimer. Quand on a interviewé Robert Englund, je crois qu'on a posé qu'une seule question et on a discuté avec lui pendant 30 minutes. Il est complétement volubile le garçon.
A la fin, il nous a piqué tout ce qu’on avait, les numéros de l’Ecran, les fanzines… tout ! C’est un cinéphile vraiment passionné. Un vrai fan de fantastique.

-PN : pareil à la radio, j'ai reçu Brontis Jodorowsky, je l'ai laissé parler, je l'écoutais comme un petit enfant raconter des choses assez extraordinaires. Et la façon de le dire aussi était intéressante.
 Nous, ce qu'on recherche, c'est le partage de la passion. That's all !


Le fanzinat aujourd'hui

-PN : on lit encore des fanzines. Le fanzinat est revenu, il y a une époque où c'était surtout sur internet. Ça revient, mais c'est beaucoup de travail, on demande aux fanzines plus de qualité qu'avant. La mise en page, Photoshop etc. C'est du boulot. La raison est aussi l'habitude de l'image. On est dans le monde de l'image quoi qu'on en dise.

-LA : je viens d'en acheter 2 en arrivant [au BWE].

-PN : même si on a traité de pas mal de sujets, on peut toujours apprendre des choses, car il y a des gens qui sont très pointus sur des sujets.

-LA : oui, beaucoup plus que nous.

-PN : par exemple il y a des gens que sont très forts sur la Hammer, c'est leur passion. Ils vont toujours t'apprendre des anecdotes. Quand on fait des interviews, même maintenant, il y a toujours pleins d'anecdotes dont on n’est pas au courant.

A propos de Boulevard du cinéma et Ciné For Ever

-PN : Boulevard du cinéma sur YouTube, est une émission cool et sympathique. Le principe est assez simple, chacun parle de ce qu'il aime.

-LA : en gros c'est un fanzine filmé, c'est un peu ça le principe.

-PN : je fais aussi une émission radio qui s'appelle Ciné For Ever, quand les gens viennent, j'apprends à chaque émission plein de choses, ils ont toujours des choses à dire. Car on leur donne les moyens de pouvoir s'exprimer pendant 1h30 - 2h00, ce qui n'est pas le cas de la télévision ou de la radio moderne où on te fait une interview d'une heure et on te garde 5 minutes.
On en revient toujours au fanzine finalement, il est tout le temps présent, qu'il soit sous forme d'émission radio, sur le web...

A propos de leur passion pour le cinéma

-LA : il y a beaucoup de vrais passionnés dans le cinéma, de notre côté, mais aussi, de l'autre côté, il y a ceux  qui le font et qui le créent. Et il y a ceux pour qui c’est juste un taf, c'est mecs là sont pas intéressants, c'est comme interviewer un comptable.
Au niveau du fanzinat, ce qui nous intéresse chez l'interlocuteur, ce n’est pas ce que l'on sait déjà. Un mec qui ratisse large, dans tous les genres du cinéma, il fait souvent une interview stéréotypée, avec des questions obligatoires: quels sont vos projets, est-ce que vous avez aimé tourner avec untel etc…  Alors que nous, on va aller plus loin dans l'analyse: dans tel film il se passe ça, est-ce que ce ne serait pas un hommage à ceci… Et si le réalisateur il a fait son film en pensant à ça, il est content, il se dit : « ce gars il a remarqué ce détail ». Par exemple dans Alien 4 il y a plein d'hommages à d'autres films dont le grand public ne se rend pas compte. Moi quand j'ai vu ce film j'ai halluciné, c'est clair qu'il y a un hommage à Argento de ouf, que tu n'as pas forcément vu. Et ces mecs-là, ils ont envie de te raconter ça. C’est surtout vrai dans le fantastique, moins dans les autres genres.

-PN : mais ce n’est pas parce qu'on n'écrit plus dans l'EF par exemple qu'on est plus passionnés, on continue, plus journalistiquement parlant, mais avec d'autres moyens comme la radio ou Boulevard du cinéma. Notre passion est toujours là.

-LA : on est passionnés par les gens qu'ils le font, les films ont les voit on les apprécie, mais on a envie d'en savoir plus, de poser des questions. Mais ce sont des questions qu'on leur pose rarement dans les médias généralistes. Car le grand public il en a rien à foutre de savoir si dans un film de série Z il y a un hommage à un film de série B. Nous ça nous intéresse.

-PN : ce qui était important quand on faisait du journalisme, ce n'était pas les critiques de films, on s'en foutait, chacun fait la critique de ce qu'il veut, ce qui m'intéressait c'était le côté humain et rencontrer les gens, avoir ce contact, pouvoir parler de sujets dont d'autres ne parlent pas.
Il faut laisser parler les gens, leur donner le temps de parole nécessaire. Et ils raconteront des choses intéressantes.

-LA : l'avantage qu'on a eu c'est Patrick, il avait les contacts, c'est le plus important. Ca fait boule de neige. Quand on a contacté les gens de Honk-Kong, on a rencontré tout le monde, on nous a invité à manger quand John Woo est venu tourner à Paris, on a passé 2 jours sur le tournage avec lui.

-PN : le rapport humain est important avec les asiatiques, dans leur contact, leur façon de faire. Avec John Woo pendant 10 ans, on s'est envoyé des vœux. Quand on a été à Los Angeles, avec les copains pour Haxan Films, il était sur la préproduction de Face Off, à la Paramount. On l'appelle et on a son agent qui dit qu’il n’aura pas le temps, plus tard on a reçu un appel de la personne qui s'occupait des affaires de Woo sur le tournage et qui nous dit: "Oui, il va vous recevoir".
Donc on est rentré à la Paramount et on a vu John Woo, il était super content de nous voir, il nous dit que Face Off coûte 80 millions de dollars, et il commence à me donner le story-board, et me dit "Qu'est-ce que t'en pense?" Il nous a aussi dit qu'il n'était pas heureux à Los Angeles. Lui, un vrai Chinois, il adore les rapports humains entre les gens, alors que Los Angeles ce n’est pas ça du tout. Quand il est venu à Paris, pour le tournage du film Les Associés, on l'a invité, un dimanche, sur les Champs Elysées, on a mangé ensemble, il me dit: "Le meilleur moment de tout ce voyage, du tournage... c'est maintenant avec vous". Ça, ça vous marque.
On est des passionnés, on ne cherche rien de particulier, juste rencontrer des gens qu'on apprécie, tout simplement. Ils nous apportent tellement de bonheur en voyant leurs films que de notre côté on essaye de leur donner un peu de nous, pour partager avec eux ce qu'ils nous ont apporté.
Il n’y a pas longtemps, il y a eu une séance de dédicace avec Joe Dante chez Métaluna. Il a passé une partie de son temps à regarder et acheter des revues, des DVD, des BR…
Ce genre de réalisateur on adore car ils ont la même passion que nous, sauf qu’ils ont eu la chance, ou l’opportunité d’aller plus loin. Mais ce sont des fans, comme nous.

Un énorme merci à Patrick et Luis pour ce super moment.
Retrouvez-les tous les deux avec leurs amis sur la chaîne Youtube Boulevard du Cinéma.
Et l'émission de Patrick Ciné For Ever chaque mercredi soir.

2 commentaires:

  1. Chouette entretien !
    Quand les deux compères en question m'ont vu avec un numéro de Vendredi 13 en main, ils étaient tout contents, se remémorant qui avait écrit quoi etc.

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  2. Pourriez-vous demander à Jean-Luc Vandiste et Patrick Nadjar (ils ont un facebook) s'ils peuvent vous fournir le Ciné-Fantasy n°6 ?

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