mercredi 24 juin 2015

Grandeur et misère du fanzinat durant la période 1979/1984

Voici un petit texte intéressant, écrit en 1984 par Norbert Moutier, qui donne un aperçu de l'état dans lequel se trouvait le fanzinat à la fin des années 70, début 80.

"En état de léthargie pendant de longues années (qui ont été étudiées dans Mad Movies), le fanzinat s'est subitement réveillé en 1979 pour atteindre une véritable flambée en 1981. On observe que cette éclosion correspond à l'ouverture de la librairie Movies 2000 animée par Jean-Pierre Putters, pionnier puis pape incontesté du fanzinat de cette époque. Le marché (quoique très réduit) qu'offrait cette librairie permit à plusieurs zines d'éclore. Sur les 70 à 80 exemplaires du tirage, une bonne vingtaine était écoulée ainsi, le surplus vendu entre copains et auprès de quelques clients glanés dans la rubrique "copinage" des autres fanzines... Et le tour était joué...

Une autre explication de cette explosion relève de données purement techniques. En effet, durant les années 50 et 60, le seul moyen artisanal de reproduction passait par la ronéo. D'une part, fallait-il encore en avoir sous la main, savoir la faire marcher, accepter de se salir avec l'encre et être suffisamment mordu ou sûr de son affaire pour investir dans un appareil...D'autre part, hors le procédé merdique du stencyl électronique, ce mode d'impression ne permettait que la reproduction de textes, pas d'illustrations, encore moins de photos!

L'apparition de nombreux copy-services a permis, dès 1980, à n'importe quelle personne accédant à une machine à écrire et disposant d'un tube de colle de confectionner un fanzine. Ces deux éléments expliquent la création de nombreux fanzines, la rue de La Rochefoucauld étant devenue, surtout le samedi après-midi, un véritable état-major du fanzinat où les rencontres ont permis de se monter, aux projets de naître... Fidèles au vent qui soufflait alors dans cette rue proche de Pigalle, les zines étaient principalement axés sur la polémique, le Festival de Paris constituant, de loin, la tête de turc préférée!

Aujourd'hui, tout ceci est disloqué, évaporé, la plupart des ex-fanzineux étant devenus professionnels et les moins chanceux ayant renoncé par lassitude ou découragement. On peut dire que, de nos jours, le phénomène est devenu pratiquement inexistant sur Paris et géographiquement, les séquelles d'initiatives demeurent provinciales (Chair, Ténèbres, Mongol Fier, Monster Bis etc...). Il semble à présent impensable que le mouvement renaisse. La profusion de revues spécialisées a laminé le fanzinat et les meilleures valeurs de maintenant n'imagineraient même plus un instant perdre leur temps à écrire ou produire dans un fanzinat enfermé dans son ghetto et exsangue en collaborateurs capables, de moins en moins tentés par son bénévolat! Au niveau parisien, nous assisterons sans doute encore à quelques naissances spasmodiques engendrées par quelques opportuns soucieux de laisser une carte de visite et visant plus haut. Par contre, la province pourrait encore nous réserver quelques heureuses surprises, principalement cette région Midi-Côte d'Azur déjà si propice!

A ce constat pas tout rose, s'ajoute une constatation assez pessimiste: le fanzinat -en tant que publication s'entend- est une voie sans issue: la plupart du temps, le fanzine capote faute d'audience ou de persévérance et, si il marche, il se transforme en revue, devenant un produit de grande consommation et perdant toute sa personnalité. C'est assurément un cercle vicieux!"

Norbert Moutier - Fanzine Chair pour Frankenstein n° 4 (Claude Vanzavelberg) - 1983.

4 commentaires:

  1. C'est dommage qu'il ait disparu de la circulation depuis quelques temps, il aurait été intéressant d'avoir son avis sur le "boom" du fanzinat que l'on vit actuellement.

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  2. C'est marrant de voir près de 30 ans après un retour à ce format d'antan avec une frénésie communicative.

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    1. La grande différence c'est qu'à cette époque écrire dans un fanzine était une bonne passerelle pour atteindre la presse pro. Cela ne semble plus vraiment être la cas aujourd'hui.

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