Quelle fut l’impulsion qui te poussa à créer ton propre fanzine ?
Dans mon cas, l’impulsion est triple. La première, c’est comme pour beaucoup d’éditeurs de fanzines, à travers Mad Movies,
que je lisais déjà lorsque j’étais très jeune. Son histoire, le fait
que ce soit un fanzine qui soit devenu un magazine, c’est quelque-chose
qui m’a inspiré, qui m’a fait rêver et croire que cette aventure
formidable était réalisable. La deuxième impulsion c’est le fait que
dans mon lycée il y avait pas mal de fanzines qui circulaient,
principalement des fanzines musicaux. C’était quelque-chose de très
développé et après avoir fait partie du journal lycéen j’ai créé
moi-même mes propres fanzines. D’abord pour déconner, car on y trouvait
de l’humour un peu débile et gras, puis petit à petit j’ai glissé dedans
des articles sur le cinéma et de fil en aiguille c’est devenu du vrai
fanzinat. Puis la troisième impulsion vient de mon envie de l’époque
d’écrire, je voulais faire de l’écriture mon métier et c’était un moyen
de s’exercer, on va dire !
Ton modèle principal était donc Mad Movies plutôt que d’autres fanzines de l’époque.
Au tout début, c’était Mad Movies,
oui. Pas un modèle dans le sens où je cherchais à l’imiter mais c’était
ma référence. Ce n’est qu’au milieu et à la fin des années 80, lorsque
j’ai commencé Médusa, que je me suis mis à acheter d’autres fanzines comme Monster Bis, Cine Zine Zone, Inferno ou Darkness, qui existait déjà à l’époque. Ça m’a aidé à avoir l’idée de ce que serait Médusa,
qui est d’ailleurs assez proche de ce qu’est le fanzine aujourd’hui,
c’est-à-dire un fanzine avec beaucoup de plumes différentes, qui tente
de diversifier la chose. Je me souviens que pour le troisième numéro de Médusa,
j’avais écrit à plein d’autres rédacteurs de fanzines pour savoir s’ils
voudraient bien me faire des articles car mon idée était de faire un
« fanzine inter-fanzines ». Bon, je n’ai pas eu beaucoup de réponses et
ceux qui m’avaient écrit ne me proposaient pas toujours quelque-chose
d’intéressant mais c’était tout de même un brouillon de ce que Médusa est maintenant.
De fanzine semble-t-il entièrement consacré au fantastique, Médusa
a peu à peu muté en un fanzine sans barrières, qui peut passer de la
comédie au drame, de l’action au porno, tant que les films restent bis.
C’est important pour toi de déployer toute cette variété, de ne pas
mettre de frontières ?
Oui tu as raison, au départ c’était
clairement orienté vers le fantastique car c’était vraiment le genre qui
me plaisait. Et puis finalement je me suis senti un peu enfermé dans
ces limites alors que j’avais envie de parler d’autres genres dont tout
le monde ne parlait pas forcément. Et l’apport des fanzines m’a aussi
fait changer, des fanzines comme Monster Bis, Inferno et Cine Zine Zone qui
pour leur part parlaient de tout ! D’épouvante, de krimi, de films de
capes et d’épées, de films de guerre,… Je me suis dit que finalement le
bis était tellement riche qu’il ne fallait pas se donner de limites,
qu’il fallait aller gratter toujours plus loin. Il faut dire qu’à
l’époque avec la vidéo on trouvait de tout, du fantastique mais aussi
beaucoup d’autres choses. Et puis en écrivant sur ces films, on se
rendait compte que tel réalisateur n’a pas fait que du fantastique et
qu’il a aussi versé dans la comédie, dans le polar, dans les films de
capes et d’épées,… Donc si on voulait parler de tout, il fallait retirer
ces limites, oui.
Après 26 ans de bons et loyaux
services à la cause d’un bis varié, est-ce qu’il ne t’est pas difficile
de trouver des sujets inédits, peu traités ?
Tu proposes et le lecteur dispose et découvrira lui-même la qualité des films…
Je fais tout de même attention à l’avis
des lecteurs mais bon… Actuellement je reçois beaucoup de lettres suite à
la parution du Médusa 26 et chaque lecteur me dit ce qu’il a
préféré et ce qu’il a moins aimé, ce qui l’a intéressé et ce qui ne l’a
pas intéressé. Mais avec une niche comme le fanzine bis, si je veux
faire plaisir à tout le monde je dois faire un numéro par personne, au
final. Certains lecteurs ne voudront pas de ciné asiatique parce qu’ils
ne supportent pas ça, d’autres lecteurs qui sont des bisseux hardcore me
diront que l’on parle d’Evil Dead dans le dernier
numéro alors que pour eux ce n’est pas du bis, d’autres diront qu’ils
n’aiment pas telle ou telle interview et auraient préféré que je publie
autre-chose à la place,… C’est du coup difficile pour un fanzine de
tenir compte de l’avis des lecteurs. On m’a proposé de faire un
referendum pour savoir un peu ce que les lecteurs voudraient et
attendent de Médusa mais c’est exactement ce que je ne voudrais
pas faire car j’ai envie de surprendre. C’est d’ailleurs pour ça que je
n’annonce pas le sommaire trop à l’avance, que j’attends un peu, car le
but c’est qu’il y ait de la surprise, de ne pas refaire toujours la
même chose. Faire des numéros qui parlent de films dont j’ai déjà parlé
auparavant, ça ne m’intéresse pas.
Et puis tu mettais parfois dans
le fanzine que c’était « un fanzine de Didier Lefèvre ». J’imagine que
ce n’est pas évident de faire quelque-chose qui plait aux lecteurs et
qui te correspond aussi totalement…
Peut-être… Je n’en sais rien, en fait !
Mais quand je mets « Un fanzine de Didier Lefèvre » c’est parce que même
si il y a de nombreux collaborateurs, et aussi excellents soient-ils, Médusa
doit toujours être mon reflet. Il n’y a qu’un homme ou qu’une femme à
la barre. C’est lui le capitaine du bateau, c’est lui le réalisateur si
je veux faire une analogie avec le cinéma. Ainsi quand j’écris « Un
fanzine de Didier Lefèvre », cela signifie que j’ai choisi tout ce qui
se trouve dedans, y compris ce que je n’ai pas écrit. J’assume tout ce
qu’il y a dans Médusa. Alors oui, il est possible que certains
lecteurs se disent qu’il est dommage que je parle de tel ou tel sujet
qui ne leur plaisent pas mais à la limite, si cela ne convient pas ils
peuvent ne pas le prendre. Je ne mets un pistolet sur la tempe de
personne pour l’acheter ! Et puis la liberté du fanzine, c’est aussi le
fait qu’en vendre dix ou quatre-cent ne change pas grand-chose. Bon ça
me ferait quand même chier de n’en vendre que dix (rires) mais dans
l’absolu cela ne change pas grand-chose… Je n’ai pas des objectifs de
chiffre, avec des compères qui me disent « Attention, tu dois parler de
ça car c’est populaire et ça va te ramener plein de nouveaux lecteurs ».
Et je pense d’ailleurs que tous les zineux évitent cette logique-là.
Il y a en ce moment une petite
polémique sur l’intérêt, ou plutôt le manque d’intérêt, de publier des
articles peu inédits dans un fanzine. N’as-tu pas peur qu’on finisse par
entrer dans une course à l’inédit au détriment des réelles envies de
l’éditeur d’un fanzine ? Se dire « J’ai envie de parler d’Evil Dead mais
c’est trop connu, je vais plutôt prendre ce petit film, même s’il ne
m’intéresse pas » ?
Il ne faut pas que les gens entrent dans
cette démarche, en tout cas. Et pour moi, la polémique n’a pas lieu
d’être puisque le fanéditeur met ce qu’il veut dans son fanzine. Après,
je me mets aussi à la place du lecteur : est-ce que ça va m’intéresser
qu’on reparle encore et toujours des mêmes films ? J’en sais rien… Mais
je pense qu’il ne faut pas prendre le problème à l’envers. Les premiers
numéros de Médusa n’étaient pas nécessairement très glorieux et
on y trouvait peu d’inédit et c’est normal. Chaque fanéditeur a besoin
de faire ses armes et pour ce faire il vaut mieux commencer par un sujet
qu’on maîtrise bien. Si on se lance dans une aventure sur des films
inédits sans maîtriser totalement le sujet, on va croiser des
spécialistes qui vont nous tomber sur la tronche en nous reprochant de
parler de choses qu’on connait mal… Ce que je fais aujourd’hui dans Médusa
sur le cinéma grec ou allemand, je ne l’aurais pas fait il y a dix ans.
C’est une question de maturité. Je pense en tout cas qu’il n’y a jamais
trop de fanzines ! Si le fanzine reste l’objet d’un créateur, il doit
être libre. Christophe Triollet a fait un article sur le sujet, sur le
trop plein de fanzines et il aurait surtout été dans le vrai il y a
vingt ans je pense, car on trouvait beaucoup de fanzines qui imitaient Mad Movies. C’était même plus qu’imiter puisqu’on trouvait des fanzines qui photocopiaient des pages de Mad Movies ou L’Ecran Fantastique.
Bon là… Quand t’es lecteur, ça n’a aucun intérêt d’avoir des
photocopies quand tu peux avoir l’original ! Et il y avait aussi
beaucoup de fanzines qui pompaient les interviews des magazines pros et
là aussi on se demande quel était l’intérêt… Cela dit, pour revenir à ce
qui se fait maintenant, j’ai récemment lu le fanzine La Fraicheur des Cafards
qui a écrit sur John Carpenter. Je ne peux pas dire que j’étais très
enthousiaste à l’idée de lire quelque-chose sur Carpenter dont j’ai déjà
vu tous les films, mais j’ai malgré tout pris du plaisir en lisant ce
qu’ils avaient à en dire et leurs analyses. J’ai trouvé ça frais et
sympa ! Et puis, à chacun son niveau d’exigence. Pour ma part, je
n’exige pas la même chose d’un fanzine qui en est à son numéro 2 ou 3,
lorsqu’il est presque en rodage, d’un plus ancien qui en est à sa
quinzième publication.
Médusa
est quasiment un objet de collection, avec ses couleurs, son nombre de
page, sa mise en page,… Bien sûr, tu parviens à tout cela grâce à
l’informatique ! Ne regrettes-tu pas un peu le temps du collage, de
l’agrafage, du découpage à la main ?
Honnêtement, non ! (rires) Je pense
qu’il faut vivre avec son temps et si je ne regrette pas ce que j’ai
fait et je ne regrette pas non plus que tout cela ait évolué. Les heures
que je passais dans les boutiques de photocopies qu’on trouve souvent
près des universités à photocopier des Médusa, les journées
entières passées à allonger mes fanzines par terre pour pouvoir les
faire, c’était hyper chronophage ! Je ne regrette certainement pas
d’avoir un imprimeur qui me fait mes Médusa, qui me les
assemble et tout ! Je n’ai plus qu’à les envoyer ! Ça, je ne peux pas le
regretter ! Ce que je peux éventuellement regretter, c’est que comme à
l’époque les photocopies étaient vraiment pourries, on devait se creuser
la tête pour innover et je me souviens que je recherchais autant
d’images et de fonds pour les pages que de sujets de films. Mais sinon
je ne regrette rien de l’époque !
De l’avis général, le fanzinat est lié à un coté amateur. Mais depuis quelques numéros, Médusa
fait la nique aux magazines professionnels ! Est-ce que tu n’as pas
peur de perdre ce côté « fait maison », de devenir « trop réussi » pour
le fanzinat ?
Ça reste amateur tout de même, il ne faut pas croire ! Médusa
ce n’est pas mon métier, ça ne me fait pas vivre, j’ai un ordinateur
normal et je fais mes mises-en-pages sur Word, je ne suis pas un pro de
la PAO ! Pour la beauté de l’objet, puisque l’on peut faire
quelque-chose de beau avec des machines qui permettent des copies
numériques absolument parfaites, pourquoi s’en priver ? Je ne sais pas
si Médusa est trop réussi en tout cas… Je reste très critique
dessus. Dans le 26 il y a des coquilles que j’ai laissé passer, un bout
de l’interview de Cindy Hinds qui manque ou qui est caché par une
photo,… Si j’étais un pro, cela n’arriverait pas ! Cela reste donc
amateur dans sa conception.
Tu ne t’arrêtes pas à Médusa puisque tu relances aussi Hammer Forever cette année ! Qu’est-ce qui a motivé ce retour très attendu par tes lecteurs et à quoi devons-nous nous attendre ?
Nous parlions tout à l’heure des agrafages et tout ce qui va avec, et bien Hammer Forever
c’était un pari fou dans mon existence. Le but était de créer un
fanzine mensuel, qui n’avait certes pas beaucoup de pages mais qui
nécessitait tout de même de voir les films et faire des recherches, tout
mettre en page avec des moyens qui ne sont pas ceux d’aujourd’hui,… Et
tout cela prenait énormément de temps ! En plus, ce fanzine avait eu du
succès pour l’époque. On n’en avait pas vendu des centaines de milliers
mais j’avais mis en place un système d’abonnement et j’avais une
centaine d’abonnés, ce qui est vraiment pas mal pour un petit fanzine.
Mais c’était encore des heures devant la photocopieuse, des heures à
tout assembler, des jours de courses effrénées pour récupérer les
textes,… Mon pote Romain Hermant, avec qui je faisais le fanzine, me
mentait effrontément en me disant qu’il avait fini ses textes alors que
ce n’était pas vrai ! (rires) Je le savais très bien mais c’était une
sorte de jeu entre nous. Mais c’était vraiment une course effrénée et
j’ai arrêté car je frisais le burnout à la fin. Et puis avec l’explosion
des frais postaux, c’était devenu un gouffre… Mais cette idée de
relancer Hammer Forever a fait son chemin en moi, au début
j’étais vraiment contre et puis petit à petit je me suis laissé
embrigadé et séduire par l’idée tout en sachant que ce ne serait pas la
même formule que l’ancien. Ce ne sera pas un mensuel, je pense plutôt
qu’il y aura deux ou trois numéros par an et ce sera bien évidemment
beaucoup moins épais qu’un Médusa puisque cela devrait faire
entre 20 et 30 pages par numéro, je pense. On va en tout cas explorer ce
que l’on n’avait pas fait à l’époque, on ne va donc pas refaire Le Cauchemar de Dracula ou Les Maléfices de la Momie
mais d’autres choses. Et je pense qu’avec la technologie actuelle, cela
pourrait faire de beaux objets ! Je suis en tout cas assez
enthousiaste ! Par rapport à Médusa, il y aura beaucoup moins
de monde dans le comité de rédaction. Il y aura bien sûr Romain Hermant
car pour moi c’était impensable de refaire Hammer Forever sans
lui alors qu’il était le co-fondateur de la version mensuelle. C’est
d’ailleurs lui qui m’a relancé suite à sa réception du Médusa 26, il s’est rendu compte que ça lui manquait de ne pas écrire et comme de mon côté l’idée de relancer Hammer Forever
me trottait dans la tête j’ai dit « Banco, on relance l’affaire » ! Je
pense en tout cas dévoiler le sommaire vers le mois de mai et j’espère
que nous aurons terminé pour le Bloody Week-End, histoire que les gens
puissent l’acheter là-bas en premier lieu. Et puis pour ne pas arriver
les mains vides, aussi ! (rires)
Retrouvez l'intégralité de cette interview sur Toxic Crypt.Un grand merci à Rigs Mordo!
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