Le début des années 90 n’étant pas encore envahi par l’Internet (qui aurait pu y croire à cette époque ?), le règne des fanzines papier tenait encore. Mad Movies publiait une rubrique consacrée à ces entreprises de malades du cinéma de genre et les annonces proliféraient tous les deux mois.
Pour ma part, j’avais déjà créé des journaux plus ou moins délirants au collège et à au lycée. Arrivé à la fac en septembre 1991, je me suis tout de suite attelé à la recherche du Journal de l’université, croyant retrouver l’atmosphère américaine avec une forme de professionnalisme et des possibilités de carrière. Rien de tout ça. Plutôt une bande d’étudiants réunis par des envies mais plutôt là pour se marrer. Ce journal était donc un zine papier photocopié, sans ligne éditoriale, sans mise en page, qui sortait dès qu’il y avait assez d’articles. J’y publiais des chroniques de films, mais aussi de bouquins et de BD. Mais cherchant un espace de liberté plus grand pour moi, j’ai lancé un zine parallèle titré « le Naljourd’laKeufa » où je laissais libre court à mes délires estudiantins.
C’est en 1993 que m’est venue l’envie de créer mon zine de cinoche, de bouquins, de BD et de tout autre chose concernant les mauvais genres. Encore plus fou, mon idée fut rapidement de sortir un magazine qui serait édité en presse. Pourquoi ? Tout simplement parce que j’en avais envie. J’avais derrière la tête le désir de devenir journaliste, et de cinoche en particulier. Chose pas si simple que ça.
Allez, je me lance et sors Kabbale n°0, 32 pages, à grands coups de mise en page archaïque, où je devais calculer les espaces pour coller les photos car je n’avais pas de scanner. Ensuite venait l’étape du découpage/collage. De l’artisanat pur jus avec des chroniques de films, un gros dossier sur Clint Eastwood, des chroniques de livres et de comics, ainsi qu’un compte-rendu sur Le monde du Jeu qui se tenait à la Porte de Versailles d’où j’ai ramené une interview de Croc, grand gourou des jeux de rôle de l’époque.
A peine sorti, et vendu avec peine par le biais de Mad Movies, je me lançais sur le montage du fameux magazine qui allait révolutionner le monde de la presse.
Mais la montagne de démarches et surtout l’argent nécessaire à cette folle entreprise, et surtout le fait que l’équipe se composait de moi-même, a rapidement mis fin à mes rêves. Mais pas à mon envie de publier.
En janvier 1994, je me décide à me rendre à Avoriaz. J’étais grand maintenant. Mais quelle ne fut pas ma déception lorsque j’appris qu’ Avoriaz arrêtait les dégâts et passait la main à Gérardmer, petite station des Vosges connue surtout pour son Lin. Pas d’Avoriaz ? Tant pis, j’y vais quand même à ce Fantastica-Gérardmer !
Et là, j’ai eu l’opportunité de vivre mon premier festival dans la peau d’un journaliste avec accréditation. Non seulement j’ai pu voir tous les films en compétition sans problème, gratuitement, et en plus j’ai rencontré un journaliste anglais qui m’a amené dans les carrés VIP et m’a poussé à faire mes premières interviews : Bryan Yuzna et Tony Randel. En VO, please !
Le rêve s’est poursuivi avec une invitation au Festival de Valenciennes, tous frais payés dans un trois étoiles avec service petit-déj au lit, puis carrément à Deauville (là, je me contente du camping, faut pas non plus exagérer, je n’étais qu’un petit de rien du tout). Entretemps, je suis devenu « journaliste sans carte de presse » pour un mensuel pour jeunes dont le cinéma n’est qu’une petite partie mais qui me permet de m’introduire auprès des attachés de presse et d’assister aux projections diverses et variées.
Toute cette chance m’a donné envie de relancer le fanzine, et cette fois juste pour mon plaisir.
Kabbale n°1 sort en octobre 94. 40 pages avec un meilleur ordinateur, un meilleur logiciel de mise en page mais toujours pas de scanner donc des cadres vides qui attendent les photos collées. Je décide qu’il sera trimestriel, il faut dire que je vois plusieurs films par semaine et j’aurais donc la matière pour remplir les colonnes de critiques. Dans ce premier numéro, le dossier central est sur Mel Gibson. Les chroniques de films sont surtout issues de mon passage à Deauville avec en prime une interview de Joel Schumacher pour le film The Client. J’y cause aussi de mangas et surtout je rameute 3 collaborateurs (je les dénonce : Michel Tack, Eric et Marc Le Prunennec).
La bête m’a pris du temps mais j’en vends une quarantaine d’exemplaires toujours par le biais de Mad Movies et de ses fameuses petites annonces.
En même temps, j’organise une nuit du cinéma fantastique dans ma ville, la Fantasmagorenuit. La première édition se contente de 4 classiques. La Dernière vague, film super bizarre de Peter Weir conseillé par un copain et qui a tellement scotché tout le monde par son côté ésotérique que j’ai eu peur que les gens s’en aille de suite a ouvert le bal. Mais surtout Brain Dead a fermé la parade, causant quelques vomissements juste avant le petit-déj du matin. Dans la seconde et la troisième, je réussis à dégotter des avant-premières qui mettent un peu de sel. Mais cette entreprise demande aussi un boulot de fou et je m’épuise.
Complètement dingue, je boucle un deuxième numéro de 40 pages de Kabbale pour janvier 95. Erwan Bargain rejoint l’équipe avec un article sur les éditons Haxan, petits manitous de la série Z française. Je poursuis les chroniques de films, remet le dossier de Eastwood à jour et publie l’interview de Tony Randel.
Le numéro 3 sort en avril 95, un peu retardé par les examens (ben oui, faut bien les décrocher ces putains de diplômes !), mais toujours 40 pages bien fournies avec cette fois un dossier sur Gérardmer 2ème édition avec mes tribulations de festivalier chanceux et plein de chroniques. C’est aussi l’année où je rencontre des dingues de Nancy (Monsieur Romain Hermant, bien le bonjour) qui publie un zine dans leur cinéma du coin intitulé « Movie Burger », le programme est annoncé clairement. C’est aussi là que je rencontre Mister Médusa, Didier Lefèvre.
C’est à ce moment où je commence à me poser des questions sur ce projet. A quoi cela sert-il de tenter de concurrencer les magazines de cinéma ? Je n’ai aucune chance, mes chroniques paraissent en retard, mon zine est photocopié et ma mise en page date des temps préhistoriques (j’apprendrai plus tard comment on fait une belle mise en page pour un autre zine). Tous ces efforts et ce boulot pour arriver à quoi ? Rien.
En juillet 95 j’édite tout de même un numéro 4 mais en annonçant clairement que les prochaines parutions seront plus aléatoires. On y trouve un joli dossier sur Sam Raimi composé par Daniel Auty et Ben Howard, ainsi que la fameuse interview de Brian Yuzna sur 7 pages !
Mais je n’en vends qu’une dizaine et trouve que le travail n’a pas le salaire qu’il mérite. Et revient le questionnement de l’intérêt. Car c’est la vraie question : à quoi ça sert un fanzine ? Ben en fait à transmettre sa passion sur un sujet que les autres n’abordent pas forcément ou alors sous un angle différent.
Et c’est là que me vient cette idée un peu folle de publier un fanzine uniquement consacré au cinéma Z français. Oui, celui qui était tourné en VHS par des dingos dans des jardins, sous-sols, carrières abandonnées ou autres endroits farfelus. Alors je trouve des adresses et je contacte ces fanatiques du mauvais genre et qui en plus se donnent à fond. Je joue aussi sur le format qui est en A6, du vrai format poche à mettre dans sa poche. Naît Kabbale In the Pocket, KIP pour les intimes, en novembre 97, dispo contre 3 timbres à 3 francs.
On y trouve les interviews de Guesno (Stéphane Noguès) pour sa série Ducon et Dugland, un sommet dans le délire humoristique et rempli de cascades, et de Joe Blood Benson (Frank Ecalard) pour son Zombi Killer, un précurseur du film de zombies.
L’idée est bien suivie puisque j’en vends une trentaine il me semble et je commence à avoir des retours. Mad Movies et l’Ecran Fantastique parle un peu de KIP dans leurs pages.
Alors je repars pour un deuxième numéro qui sort en mai 98. On y trouve 2 pages de news puisque d’autres fanatiques m’ont envoyé des infos, on poursuit notre connaissance de Guesno avec son film Le Bunker. Là, le garçon pousse ses folies de cascades à un niveau quasi professionnel, mais sans les protections. Une vraie bande de malades mais c’est jubilatoire ! Le second dossier s’intéresse à Olivier Château qui venait de finir L’Amour à Mort, un court-métrage en 16 mm. Le travail est déjà plus léché techniquement et le garçon veut vraiment devenir professionnel. Enfin, 4 pages supplémentaires de présentation de storyboards d’Eurydice, un film d’Antoine Cervero (a-t-il réussi à le terminer ?), ainsi que de L’invité de Dracula de Jean-Michel Ropers. De quoi faire baver.
Malheureusement, plus tard en 98, je publie le KIP3 en annonçant la fin de l’aventure. Au sommaire, déjà plus de news, l’enthousiasme du début n’ayant pas duré, mais un coup de projecteur sur L’appel de la Nuit de Bruno Estraguès, un film de vampire assez kitsch mais tourné avec passion, un autre sur Space Way de Thibaut Castan, un film de science-fiction de fan d’Alien, avec des décors assez chiadés pour une équipe de jeunes de 18 ans, et un troisième sur les productions Caves Prod de Benoit Lamouche qui réalisaient des très courts avec une photographie travaillée ainsi qu’un montage quasi pro, et un dernier interdit au moins de 18 ans sur I Love Snuff d’Yves Piérog, délire sado-maso ultra-pervers et pornographique assez dérangeant.
L’aventure s’arrête là.
Il faut dire que l’avènement du net a flingué les zines papier, surtout ceux autour du cinéma. Quel intérêt pour les réalisateurs de petits budgets de se contenter de photocopies noir et blanc alors que la toile s’ouvre à eux ? D’ailleurs, n’hésitez pas à taper les noms de tous les gens que j’ai cités pour voir leur parcours jusqu’à aujourd’hui.
Pour ma part, je n’ai pas abandonné les chroniques de ciné puisque j’ai collaboré à un autre fanzine, Slash le Canard de l'Imaginaire créé par Wil Waechter où j’ai commencé à m’intéresser de plus en plus à la littérature de genre, que j’aimais depuis longtemps mais qui prit à cette époque plus d’importance. Dans les années 2000, j’ai eu la possibilité de collaborer à Bifrost, à Galaxies à Présences d'Esprits¸ à Pavillon Rouge des éditions Delcourt, ainsi qu’à Science-Fiction Magazine. Puis au fil des rencontres, je me suis retrouvé avec une bande de potes passionnés et je suis maintenant responsable des chroniques de livres jeunesse pour le site Yozone. Domaine dans lequel je fraye aussi avec mes publications en tant qu’écrivaillon.
Mais ceci est une autre histoire…
http://michaelespinosa.canalblog.com/
Je suis très content d'avoir eu des nouvelles de Mickaël ! Merci pour cet article Laurent !
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